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du noyé un petit mouton blanc, frisé, très joli et qui se met à marcher. Ermil pense : « Je vais le prendre, pourquoi resterait-il là pour rien ? » Il descend de cheval et prend le mouton. Le mouton est tranquille. Ermil revient à son cheval et le cheval s’éloigne, renâcle, s’agite. Pourtant Ermil le met à la raison, il remonte et reprend son chemin avec le joli mouton devant lui. Et Ermil regarde le mouton, et le mouton regarde Ermil droit en face. Il se mit à trembler, Ermil ; il pensait : « Je ne me rappelle pas qu’un mouton ait jamais ainsi regardé un homme en face, mais ce n’est rien. » Et il caressa de la main la toison du mouton en lui faisant : « Biâcha, biâcha ! » et alors le mouton lui montre les dents et lui répond : « Biâcha, biâcha… »

Le conteur n’avait pas achevé son dernier mot quand les deux chiens se levèrent ensemble, furieux, et disparurent dans l’ombre. L’alerte fut générale, Vania sortit de sa natte. Pavel en criant à tue-tête se précipita à la suite des chiens dont les aboiements s’éloignèrent. Tout le troupeau piaffait et courait, inquiet et débandé. Pavel redoublait ses cris pour exciter les chiens : « Siéri ! Joutchka ! » Puis les aboiements cessèrent ainsi que les cris de Pavel, et quelques instants d’incertitude s’écoulèrent.