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honte devant cette bête et je m’élançai en avant désespérément comme si j’eusse enfin trouvé le chemin. Je contournai le mamelon et j’entrai dans une vallée étroite partout sillonnée des traces de la charrue. Une impression bizarre montait en moi. Cette vallée avait l’aspect à peu près régulier d’une chaudière évasée par le haut ; au fond se dressaient d’énormes blocs de pierre blanche : on les eût vraiment crus rangés pour servir aux entretiens d’êtres mystérieux. Tout était silencieux et morne, jusqu’au ciel plat, mélancolique et qui m’oppressait. Un petit animal criait plaintivement… Je me hâtai de remonter sur le mamelon. Jusqu’à cet instant, je n’avais pas encore désespéré de découvrir le bon chemin. Mais alors je dus convenir que j’étais tout à fait égaré. Et, renonçant à m’orienter dans des lieux d’ailleurs complètement noyés de ténèbres, je marchai au hasard sans plus rien examiner que la situation des étoiles. Près d’une demi-heure se passa ainsi. Je marchais avec peine. Il me semblait n’avoir jamais vu d’aussi complet désert : pas une lumière, pas un son. Une colline, puis une autre, puis des champs à l’infini, puis des buissons qui semblaient jaillir de terre à mon nez. Je marchais toujours et déjà songeais à m’étendre