Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

opaque nuage d’orage. Il semblait que les ombres fondissent sur moi, de derrière moi, et d’en haut, et d’en bas. J’avais trouvé un sentier non frayé, encombré d’herbe ; je le suivais en l’étudiant avec soin. Tout, autour, était d’un silence noir, sauf l’intermittente interruption du cri de la caille. Un petit oiseau de nuit, qui volait assez bas, longea auprès de moi, avec un petit cri de terreur. J’atteignis les derniers buissons. J’étais dans les champs. J’avais peine à distinguer les objets lointains ; un blanc trouble plutôt que gris s’étendait sur la plaine : au-delà les grandes masses mouvantes de l’obscurité. Un pas vibrait sourdement dans l’atmosphère refroidie et immobilisée. Au ciel blafard de naguère succédait l’azur de la mort où bientôt scintillèrent les étoiles.

Ce que j’avais pris pour un bois était un mamelon sombre et rond. « Mais où suis-je donc ? » répétai-je encore à haute voix. Je m’arrêtai et regardai interrogativement ma Dianka, une chienne anglaise jaune bai, à coup sûr le plus spirituel des quadrupèdes. Mais je dois avouer que le plus spirituel des quadrupèdes se contenta de remuer la queue et de cligner tristement ses paupières fatiguées, sans trouver à me donner aucun bon avis. J’éprouvai un sentiment de