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quelque lovelace redouté et heureux. Les jeunes filles russes aiment l’éloquence. Il me fit entendre qu’il fréquentait les pomiéschiks des environs, qu’il avait d’excellentes connaissances au chef-lieu du district, des amis dans la capitale et qu’il jouait à la préférence. Il savait sourire, et variait à l’infini ses sourires ; le meilleur de tous était un certain sourire modeste, retenu, attentif et sympathique, qui éclairait ses lèvres quand il écoutait. Il écoutait bien, il était toujours d’accord avec l’interlocuteur, mais sans perdre le sentiment de son propre mérite, et sa physionomie laissait lire qu’à l’occasion il pourrait, lui aussi, formuler une opinion. Ermolaï, homme un peu rustre, point du tout subtil, s’ingéra de le tutoyer et c’était un spectacle de voir avec quelle fine ironie Vladimir le payait des vous les plus gracieux.

— Pourquoi, lui demandai-je, portez-vous ce bandeau ? Avez-vous mal aux dents ?

— Non, répondit-il, ceci est le résultat de mon imprudence. J’avais un ami, homme excellent, mais qui n’entendait rien à la chasse. Un soir, il me dit : « Mon cher, je t’accompagne demain matin à la chasse. Je veux goûter de ce plaisir-là. » Pour ne pas le contrarier je lui procurai un fusil ; nous partîmes avec l’aurore et nous chas-