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l’embrassait sur les lèvres comme un frère et le comblait de présents. Pendant mon séjour à Moscou, j’assistai à une lutte organisée par lui et telle qu’on n’en avait encore vu de pareille. Il invita tous les chasseurs de l’empire ― leur fixant le jour et l’heure ― à venir lui faire visite avec leurs gens et leurs bêtes. Chaque chasseur avait ses meneurs et ses chiens ; il semblait que le palais fût envahi par une armée. D’abord on festoya, puis on passa la barrière. Le peuple s’était amassé en foule et, qu’en dites-vous, on fit courir les chiens, et c’est le chien de votre grand-père qui dépassa tous les autres.

― Milovidka, n’est-ce pas ? demandai-je.

― Milovidka, Milovidka !… Et le comte se met à prier votre grand-père : « Vends-le-moi, vends-le-moi, vends-moi ton chien, dis toi-même ce que tu en veux. »

« ― Non, comte, je ne suis pas trafiqueur. Pour l’honneur, non pour l’argent, je serais capable de céder ma femme, mais je ne céderai pas Milovidka. J’aimerais mieux me constituer votre prisonnier. » Alexis Grigorievitch le loua grandement et lui dit : « J’aime cela ! » Votre grand-père remporta le vainqueur dans sa voiture et quand Milovidka mourut, eh bien ! voyez-vous, il lui fit un enterrement en musique et l’inhuma