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que la terre vous est restée. Demandez à vos vieux moujiks le nom de ce champ-là, ils vous répondront tous : « Le champ de la bastonnade, » car on l’a baptisé du prix qu’il a coûté. Cela vous laisse entendre combien peu les petites gens ont à regretter le passé.

Je ne savais que dire à Ovsianikov, je n’osais même lever les yeux sur lui.

― Un autre voisin, vers le même temps, vint s’établir dans le pays. Il s’appelait Komov, Stepane Niktopolionitch. Celui-ci pensa rendre fou mon père. Ivrogne fieffé, quand il avait dit en français, après avoir bu : « C’est bon ! » il n’y avait plus qu’à emporter les icônes. Il envoyait souvent inviter les voisins, et si l’on n’accourait pas, il venait lui-même dans sa troïka et cela se passait mal. Quel homme étrange ! À jeun, il ne mentait jamais. Dès qu’il avait bu, on pouvait être sûr qu’il allait vous raconter comme quoi il possédait à Peter[1] trois maisons sur la Fontanka, l’une rouge avec une seule cheminée, l’autre jaune avec deux cheminées, l’autre bleue sans cheminée. Il ajoutait qu’il avait trois fils (notez qu’il était garçon) : l’un dans l’infanterie, l’autre dans la cavalerie, le

  1. Pétersbourg.