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faire sa connaissance et se sentir prêt à l’aimer. Sans doute, de temps en temps se révélait le pomiéstchik, le stepniak[1] ; mais l’homme n’en était pas moins honorable.

Nous parlions du nouveau maréchal de noblesse du district, quand nous entendîmes Olga nous crier : « Le thé est prêt ! »

Nous regagnâmes le salon. Fedor Mikhéitch était dans un coin entre une porte et une fenêtre, assis sur ses jambes. La mère de Radilov tricotait son bas. Par les fenêtres ouvertes sur le jardin, nous venait un air d’une fraîcheur printanière et imprégné d’une saveur de pommes. Olga nous versa le thé fort gracieusement. Je l’observai avec plus d’attention que durant le dîner. Elle parlait peu, selon l’habitude des jeunes filles de province, mais elle n’avait point comme celles-ci le désir d’exprimer une haute pensée, étouffée par le cruel sentiment de l’impuissance ; on ne la voyait pas soupirer pour échapper à des sensations trop abondantes et indicibles. Ses yeux ne roulaient pas dans leurs orbites, elle n’avait pas de sourire vague ni d’air rêveur. Elle regardait droit devant elle avec calme et indifférence, comme une personne qui

  1. Habitant du steppe.