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pied ou tombaient sous la hache, les vieilles palissades s’en allaient pièce à pièce. Seuls, les tilleuls persistaient à croître et à prospérer, et aujourd’hui encore, debout dans les champs labourés, ils rappellent à notre race étourdie les pères et les frères dont ils ont abrité les jeux et les repos. C’est un bel arbre qu’un tilleul séculaire. Il est respecté par la hache du moujik lui-même. La feuille n’est pas bien large, mais les branches sont si nombreuses et si feuillues qu’il y a toujours de l’ombre.

Un jour, j’errais avec Ermolaï en quête de perdrix, quand nous aperçûmes un jardin abandonné. Je me dirigeai de ce côté. À peine avais-je franchi la haie de bordure qu’une bécassine s’envola. Je tirai, et au même instant, à quelques pas de moi, on jeta un cri d’alarme, pendant qu’une figure effrayée de jeune fille apparaissait à travers les arbres et disparaissait. Ermolaï accourut : « Pourquoi tirez-vous ici ? Cette propriété est habitée par un pomiéstchik. »

Je n’eus pas le temps de répondre ni même celui de prendre à mon chien l’oiseau qu’il m’apportait avec dignité. On entendit des pas précipités et un homme grand et moustachu sortit du fourré ; il s’arrêta devant moi, l’air mécontent. Je m’excusai, je me nommai, je lui