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aperçûmes au-dessus des murs la gerbe pâle des lilas.

Comme une fraise que le soleil macère dans un creux de muraille, le cœur de Nane parut s’attendrir ; elle devint sentimentale, plaignant la brièveté des heures, et le temps irrévocable.

— Si aujourd’hui, ajouta-t-elle, pouvait toujours durer, qu’il fait si bon vivre.

— D’autant que cette voiture a des roues très bien caoutchoutées.

— Vous ne savez, répond-elle, que prendre à la blague tout ce que j’admire, et moi-même, comme si j’étais un bibelot, une chose d’ameublement, et que vous ne croyiez pas que j’aie (elle hésite un peu) — que j’aie — une âme.

— Mais si, mais si ; seulement il y a les petits jeunes, pour s’occuper de ça ; je ne puis pas faire tout le ménage. Et puis je ne vous ai jamais traité en bibelot, Nane. Vous êtes bien plutôt pour moi comme un fruit d’or et de sang et qui n’est pas encore tout à fait mûr. Vous êtes comme du vin grec dans un verre de Bohême tout rouge, au moment délicieux qu’on l’approche de ses lèvres : après qu’on y a bu le cristal en demeure longtemps parfumé. Et vous êtes encore comme l’idole qu’on tailla dans une pierre éclatante, précieuse, dure ;