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c’était l’heure que Christine rentrât chez sa mère, il la raccompagna un bout de chemin, « jusqu’à la rue Pasquier », avait-elle déclaré. De tout le boulevard, ils ne se dirent plus rien. Peut-être savouraient-ils cette amertume que laisse après elle une joie imprévue ; peut-être écoutaient-ils décroître derrière eux les bruits de la fête. Au moment où ils se séparèrent, des cors sonnèrent un air de chasse, qui semblait venir on ne sait d’où, un air de chasse éclatant et triste comme l’automne dans les bois.

Il ne leur fallut pas beaucoup de jours pour croire qu’ils n’avaient jamais cessé de s’aimer, et qu’ils ne seraient heureux qu’en se mariant. René avait dix-huit ans, Christine seize ; ils gagnaient tous deux leur vie. D’autre part, si les époux fugitifs avaient laissé le chagrin à leurs foyers, ils y avaient aussi laissé entrer l’aisance. Nos amoureux résolurent donc de s’ouvrir tout de suite à leurs parents.

Au visage dont ils s’abordèrent le surlendemain, c’était trop facile de lire la ruine de leurs espérances.

— Qu’est-ce qu’on t’a dit ? demanda-t-elle.

— Et à toi ?

— Tu te rappelles, la dernière fois que maman est venue me chercher dans la cour, rue d’Aguesseau — si elle était en colère.

— Est-ce que ç’a été la même chose, ma pauvre Christine ? demanda René avec un demi-sourire.

La jeune fille hocha la tête et se mit à jouer avec ses ciseaux. Peut-être les remerciait-elle.