Page:Toulet - Béhanzigue, 1921.djvu/62

Cette page n’a pas encore été corrigée

mis à tromper sa femme — sans que d’ailleurs elle lui rendit la pareille. ( « Ah, ma chère, non ; j’en ai ma claque. Et le ticquet me suffit : pas de correspondance. » )

Tout en remplissant du mieux qu’il pouvait ses devoirs de mari trompeur, il regrettait Guillemette avec fureur ; avec la même fureur qu’elle le regrettait elle-même, et qu’il détestait sa belle-mère. La nuit, quand ça l’ennuyait trop de s’amuser, et qu’il restait chez soi, c’était pour y rouler des cigarettes, et, contre la douairière, mille projets de vengeance ; — pour essayer tout au moins. Le malheur est qu’il n’avait pas l’ombre d’imagination, Gaétan : c’était un homme dans le genre de Darwin.

Après bien des efforts intellectuels, voici lé projet, où il s’arrêta. Tous les dimanches, après avoir entendu la grand-messe, Mme de Malepas quittait Sainte-Clotilde au trot majestueux de ses deux alezans, bêtes paisibles, normandes et pas très jeunes : tel leur cocher, Jacques, qu’on appelait Jacquelin — depuis vingt-cinq ans — pour éviter la confusion avec Monsieur Jacques. Gaétan guetterait leur passage, et, dès que la voiture serait proche, il se précipiterait devant les chevaux. Se précipiter, c’est façon de dire ; il avancerait juste du nécessaire pour se faire heurter à l’épaule par l’alezan de gauche — Caudebec, on l’appelait — et se jetterait par terre.

Il s’était exercé à ce nouveau jeu, l’avant-veille, à la campagne, avec son infâme beau-frère, qui, ayant pris des chevaux trop fringants, avait même failli l’écraser pour tout de bon.