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Les cinq hommes, s’étant assurés qu’on n’entendait aucun bruit suspect aux environs, s’engouffrèrent un à un par l’une des fenêtres et commencèrent à explorer l’intérieur de l’usine.

Rien ! Absolument rien ! Partout les traces d’un pillage en règle et des noms allemands charbonnés sur les murs ; toutes les armoires enfoncées et vides, tous les meubles éventrés, hachés à coups de sabre.

— Décidément, il n’y a pas gras ! — décida le caporal.

— Et ça ? — objecta Crozon, indiquant un escalier qui semblait conduire dans quelque cave.

Une courte hésitation arrêta les mobiles sur la première marche ; mais, comme on n’entendait toujours rien, ils s’enfoncèrent dans ces demi-ténèbres, jetant devant eux, en coups de sonde, la pointe de leur baïonnette mise au bout du fusil.

Par un soupirail la lumière tombait à flots, baignant tous les objets d’une clarté douce qui leur communiquait une tonalité attendrie et fine.

Çà et là, des flacons de toutes les formes, de toutes les tailles, où flambaient des étincelles rouges, vertes, jaunes, opalisées, un amusant emmagasinement de pierreries bizarres, serties au fond des bouteilles et comme incrustées dans le verre.

C’étaient les quelques gouttes figées d’essences délicieuses, de parfums concentrés et délicats dont l’arôme flottait, vaguement épars dans cette pièce à moitié souterraine.

Crozon déboucha un flacon ; ce fût aussitôt comme s’il eût jeté dans l’atmosphère la senteur puissante des verveines en fleur, et les narines se tendirent, ouvertes, pour absorber cette émanation exquise.

Alors, comme des fous, ils se mirent à enlever tous les bouchons de verre, à donner l’essor à tous ces parfums divers, dont la griserie bizarre monta autour d’eux, les enveloppant d’odeurs étrangement combinées, où les résédas, les tubéreuses, les roses, les violettes, les jasmins, les héliotropes, les orangers se mêlaient aux benjoins, aux muscs, aux vanilles, aux ambres, aux patchoulis, aux bergamotes. Tout cela dans une gamme éteinte, vaporisée, presque effacée, qui communiquait aux parfums un charme d’autant plus séduisant.

Une exclamation les attira tous vers un angle, où Crozon venait de découvrir un meuble à tiroirs nombreux.

C’était l’endroit où marinaient, dans les odeurs diverses, les poudres de riz blanches et roses.

Ils entrèrent leurs mains grandes ouvertes dans cette douce