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rien, rien, rien, ni graisse ni beurre ! On ne peut pourtant pas manger comme des sauvages, des propres à rien !… Et un jour comme celui-là encore, où le fourrier nous a si bien servis !…

— C’est bon ! On ira aux provisions.

On savait ce que cela signifiait.

Toutes les fois qu’on avait besoin de quelque chose au plateau d’Avron, on tirait une bordée du côté de Villemomble, de Gagny, quelques-uns poussant même jusqu’au Raincy, comme Germain Crozon, qui ne craignait rien et semblait se croire la peau blindée contre les balles prussiennes. On fouillait de-ci, de-là, les jardins, les potagers, les villas abandonnées, cherchant si quelque objet utile n’aurait pas par hasard échappé aux mains pillardes des Allemands ou aux chapardages des francs-tireurs.

Tout cela était assez aventureux, car on n’avait pas encore établi de grand’garde au bas du plateau, comme on le fit plus tard, et l’idée d’exploration qui conduisait les Français à travers Gagny et Villemomble, y amenait aussi les Prussiens.

— Allons ! Quatre hommes de bonne volonté, et en route ! dit le caporal.

La plupart empoignèrent leur chassepot, prêts à partir, sans trop de souci des suites possibles de l’aventure.

Cependant il n’y avait pas de jour qu’on ne signalât des manquants ou des blessés, parmi les douze mille hommes de toute arme qui occupaient le plateau. C’était tantôt un moblot fait prisonnier, tantôt un marin ou un chasseur traversé d’une balle pour s’être aventuré trop loin.

— Non pas tous, quatre seulement !

Le caporal les désigna :

— Germain Crozon, Joseph Navaret, Claude Tournevire…

L’un après l’autre, chacun des hommes choisis vint se placer près de lui, armé et muni de sa musette.

Il chercha un moment à droite, à gauche, ne se décidant pas ; puis se frappant le front :

— Eh ! mais, pourquoi pas ? Hop ! Pierre Faraud ! — Le cuisinier ne bougea pas.

— Eh bien tu n’as pas entendu ?

— Si ; mais je suis de cuisine, moi, je ne peux pas aller aux provisions.

— Ta ! ta ! ta ! Des histoires ! Nous avons besoin de toi pour choisir les légumes ; ainsi debout, et preste !…

N’osant se faire tirer l’oreille davantage, Faraud se leva, en rechignant, et boucla son ceinturon :