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La politique seule parvenait à l’arracher à ces engourdissements de boa.

De temps en temps, sur un mot, sur une lecture de journal, il se dressait majestueusement et prenait ce que Crozon appelait sa pose en coup de vent.

Alors il fallait le voir, l’œil mi-clos, un poing sur la hanche, la poitrine bombée, la tête rejetée en arrière, la main droite balancée devant lui par saccades affirmatives, discourir longuement, avec des airs de tout savoir, de connaître le dessous des choses, et se lancer à travers un tas d’humanitaireries bizarres et sentimentales, où perçaient des avidités énormes, des envies sourdes, une haine féroce des talents et des capacités.

Sa fainéantise émolliente rendait heureusement de pareils accès assez rares.

Pas de cigarettes, pas de siffloteries, pas de plainte contre les chefs, pas de rengaines philanthropiques à propos de la guerre : décidément Pierre Faraud, ce samedi-là, n’était pas dans son assiette habituelle.

— Eh ! Faraud, tu songes à nous faire quelque chose de fameux ? interrogea un camarade.

— C’est pas la bonne volonté qui manque, fit le cuisinier, le regard éteint.

— Ni la viande non plus, je pense ! Nous sommes un peu fameusement gâtés depuis les derniers combats : du cheval en veux-tu, en voilà ? Un rude abattoir qu’un champ de bataille ! Aussi, aujourd’hui, il y en a de la bidoche ! — dit Crozon, indiquant un joli morceau de cheval déposé dans une grande gamelle de fer placée dans l’angle aux provisions.

— Pour la carne, c’est de la riche carne, y a pas à dire le contraire, du pur filet, quoi !…

— Eh bien ! alors ?…

— C’est l’assaisonnement qui fait défaut, voilà !

— Bah ! Tu vas nous rôtir ça gentiment, sur un bon feu, un vrai cheval braisé, hein ?…

— Jamais.

— Comment, jamais ! Tu désertes ton poste ? Tu rends ton tablier ? Oh ! oh !…

Crozon ricanait.

Le caporal intervint :

— Je vois ce que c’est ; Faraud à- rêvé pour nous quelque plat fin, et ça le chiffonne de manquer de moyens.

— Dame ! caporal, voyez vous-même. J’ai fouillé tous les coins et recoins : pas un pauvre petit oignon, pas une herbe,