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IV


C’était, encore assez loin, un bruit.

Quel drôle de bruit ! Cela criait et zézayait sur la neige durcie avec une sorte de sifflement bizarre et saccadé, un gazouillis d’étoffes frôlant des surfaces lisses, quelque chose de chantant et de mystérieux, très inquiétant.

— Qui diable nous arrive là ? — s’exclama le caporal, à la fois anxieux et étonné.

— Là, quand je vous le disais ! — geignit la voix pleurarde de Faraud, dont les doigts serraient désespérément son chassepot, et dont toute la face blêmie subitement, suait la peur, une peur atroce, tandis que ses yeux dardaient le muet reproche de l’avoir entraîné dans cette aventure.

Ah ! ce qu’il se repentait d’avoir obéi à son caporal, celui-là, ce qu’il se promettait à l’avenir, s’il en réchappait, l’infortuné, de ne plus jamais, jamais céder à un mouvement d’amour-propre ! C’était bien son dernier chemin de croix, il se le jurait en ce moment !

Il était impossible de deviner ce qui pouvait s’avancer ainsi ; Crozon lui-même, malgré son habitude des choses, son flair de Peau-Rouge habitué à dépister les ruses de la guerre, ne parvenait pas à donner un avis.

Les prunelles guettaient éperdument l’endroit où la rue faisait un coude qui cachait encore ce qui se rapprochait, lorsque, au bruissement inexplicable, se mêla une voix humaine.

Lancée à plein gosier une chanson roulait, répercutée par les murs sonores qui encaissaient la rue.

On se regarda, dans une stupéfaction qui clouait les paroles au fond de la gorge, comprenant de moins en moins ce qui se passait dans cette infernale rue de Gagny.

Était-ce du français, de l’allemand ? Bien fin celui qui eût pu le dire en ce moment. Il n’était pas plus permis de distinguer les paroles que de désigner la nationalité du tonitruant inconnu qui beuglait si près de nous, au risque d’attirer sur lui les balles des dreysses aussi bien que celles des chassepots.

Mâchée par une voix rude, rocailleuse, la chanson avait des hauts et des bas, une musique complainte paysanne, un balancement rustique qu’on devinait rythmés, par le dandinement du corps.

— En voilà un charabia ! — souffla Navaret.