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attaché au cou un cordon bleu. En joignant à cela ce fait significatif qu’il a fait son entrée dans le mois de mai, de là entre-mets, j’en augure qu’il sera restaurateur. — Il n’en fallait pas davantage pour décider de la carrière du jeune Brébant. — Il ne tarda pas d’ailleurs à justifier la prédiction de son oncle. Il fit ses classes avec assez de mollesse, préférant la manipulation de la graisse à l’étude du grec, l’office de la salle à manger à ceux de l’Eglise, et n’apprenant guère qu’un latin de cuisine. Encore s’entêtait-il à dire : lapin de cuisine. — D’une nature méditative, il partageait peu les jeux des enfants de son âge, et passait tout le temps des récréations à gargoter des sauces impossibles de sa composition. Cette persistance avait même tant soit peu ébranlé son oncle le devin qui se disait : est-ce que le gaillard serait destiné à devenir directeur du Vaudeville ? Le fait est que l’enfant donnait prise à cette cruelle supposition par sa persistance à chercher continuellement des recettes. — Ces craintes heureusement ne se justifièrent pas. Comme le directeur du Vaudeville, le jeune Brébant cherchait, il est vrai, des recettes ; mais là s’arrêtait la similitude : il en trouvait quelquefois. — En 1843, une circonstance permit au jeune artiste de révéler son génie. Un grand concours culinaire international s’ouvrit à Paris sous la présidence du baron Brisse, et le Jury fut émerveillé des œuvres du jeune Brébant qui triompha sur toute la ligne de ses nombreux concurrents. — Il produisit là les sauces les plus voluptueuses et les mets les plus suaves. Ce fut lui qui le premier trouva le moyen de faire cuire les rognons brochette avec assez de talent pour qu’il soit impossible de les confondre avec de vieilles rondelles de caoutchouc attendries dans une marinade. — Au grand dîner où le jury devait décerner les récompenses, il produisit une mayonnaise si onctueuse, que les morceaux de homard qui étaient sur la table n’eurent pas la patience d’attendre qu'ils fussent servis aux convives, et sautèrent d’eux-mêmes dans la saucière pour aller s’imprégner de ce cold-cream de l’estomac. — L’examen oral du jeune Brébant ne fut pas moins brillant. — Il étonna le jury par ses réponses pleines de sens, de justesse et surtout d’honnêteté professionnelle. Nous signalerons, entr’autres, la suivante, qu’il fit à un des examinateurs, et qui lui valut une excellente note. — L’examinateur : — Que pensez—vous, monsieur, des appellations fantaisistes dont certains restaurateurs affublent leurs plats ? — Brébant : — Je pense, monsieur, que ces honorables industriels ont grandement raison. — L’examinateur, étonné : — Comment cela ?... Expliquez—vous. — Brébant — Volontiers... Les choses que ces gens-là nous font souvent manger étant des choses sans nom, ont besoin qu’on leur en donne. — L’examinateur : — Pour ne parler que d’un de ces plats qui visent à l’extraordinaire, comment croyez-vous que ces restaurateurs s’y prennent, par exemple, pour obtenir des épinards à la Roustabrankoff. — Brébant : — Je