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son jeu. Cette remarquable élasticité de conscience ne tarda pas à attirer l’attention du président de la République, Louis-Napoléon, qui l’appela au ministère de la justice. Une fois au pouvoir, M. Rouher convertit hardiment en… mouchoirs de poche son mandat démocratique et déclara en pleine tribune que la révolution de Février était « une catastrophe. » Musset a dit qu’épouser sa maîtresse, c’est cracher dans son verre avant de boire ; M. Rouher, plus malin, crachait dans son verre, mais après avoir bu. M. Rouher fut un des défenseurs de la loi du 31 mai qui restreignait le suffrage universel auquel il devait tout. Cette fois, il ne se contentait pas de cracher dans le verre ; il le brisait. Il est vrai que la haute situation qu’il avait conquise lui permettait désormais de boire à même la bouteille. De juillet à décembre 1851, M. Rouher quitta et reprit son portefeuille une demi-douzaine de fois ; le 22 janvier 1852, il donna sa démission à l’occasion de la confiscation des biens de la famille d’Orléans. Ce décret à la tire répugnait à ses sentiments élevés ; plutôt que de s’en rendre complice, il préféra renoncer à son portefeuille… après s être assuré que l’empereur lui donnerait de lavancement. En effet, Napoléon III, touché de tant de délicatesse, posa sur les scrupules encore saignants de son ex-ministre le cataplasme adoucissant de la vice-présidence du conseil d’État. De 1855 à 1863, M. Rouher fut ministre du commerce et des travaux publics. Pendant cette période, il conclut des traités de commerce avec l’Angleterre, la Belgique et l’Italie. Les opinions sont encore très partagées relativement aux bienfaits de ces conventions que beaucoup d’économistes, entre autres MM. Thiers et Pouyer-Quertier, ont jugées assez favorables à la France pour que l’Angleterre et la Belgique s’en tordent les côtes de rire. Quant au traité avec l’Italie, c’est autre chose. La France ne tarda pas à en ressentir les bienfaisants effets ; à peine était-il signé que M. Rouher recevait le grand cordon des Saints-Maurice-et-Lazare ; cette nomination plongea le commerce dans une joie folle ; messieurs Maurice et Lazare eurent assez d’empire sur eux-mêmes pour conserver leur sang-froid. En octobre 1863, M. Rouher fut nommé ministre d’État après la mort de M. Billault, cet autre homme politique de tous les écots qui, pour la première fois de sa vie, quittait une place sans être appelé à d’autres fonctions. On doit à M. Rouher la liberté de la boulangerie ; il ne conserva que celle du pétrin. De 1863 à 1868, M. Rouher eut pour mission de prouver au Corps législatif que tous les actes de l’empire étaient des chefs-d’oeuvre ; il y parvint sans peine, appuyé par une majorité moutonnière auprès de laquelle il remplissait l’office de chien de berger impérial. Il fut le général en chef d’une armée de couteaux à papier soumis et disciplinés au point d’étouffer sous le bruit de leurs roulements ineptes jusqu’à celui des craquements de l’édifice qui devait s’écrouler sur eux. Il présenta l’expédition du Mexique comme « la plus grande pensée du règne » et la défendit avec tant de véhémence que les députés de la droite en furent touchés ; les dividendes des obligations