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fit de brillantes études. Tout jeune il composa plusieurs poésies, une entre autres en l’honneur de la sainte Vierge ; plus tard, les détracteurs de Rochefort ayant fouillé son passé, dans l’intention bien évidente d’y découvrir l’assassinat d’un invalide à nez d’argent, n’y trouvèrent que cette ode religieuse ; ils l’exhumèrent triomphalement en s’écriant : « Quel gredin !… Tutoyer l’empereur après avoir chanté la Vierge !… » n Justice fut promptement faite de cet argument idiot qui mènerait tout droit à couvrir de boue les hommes qui gouaillent le miracle de la Sallette, sous prétexte qu’à trois ans ils mettaient à Noël leur sabot dans la cheminée pour y trouver un polichinelle le lendemain matin.

Devenu homme, Rochefort essaya d’étudier la médecine ; il y renonça bientôt pour ne pas être exposé à devenir plus tard le médecin de l’empereur. « Rien que l’idée — disait-il avec horreur — que je pourrais un jour être obligé de fourrer me sonde là-dedans !… Jamais !… » — Il fut admis en 1851 comme expéditionnaire dans les bureaux de l’Hôtel-de-Ville, où il fit d’ailleurs un assez mauvais employé. Il ne tarda pas à prendre les expéditions en grippe, celle du Mexique développa plus tard cette antipathie. — Il collabora avec beaucoup de succès au Charivari, au Nain Jaune, au Soleil et au Figaro. Dans ce dernier journal — (nous demandons bien pardon à nos lecteurs d’appeler ça un journal ; mais le dictionnaire de l’Académie est si pauvre !…) — Dans ce dernier journal, disons-nous, le ton des chroniques de Rochefort devint si monté, que M. de Villemessant fut prié par le Gouvernement de remplacer l’acerbe écrivain par un panadier de la force, au plus, de Timothée Trimm, sous peine de voir le Figaro supprimé.

Comme nous tenons avant tout à étonner nos lecteurs, nous nous abstiendrons de leur dire que, placé entre ses intérêts et sa dignité, M. de Villemessant s’empressa de jeter sa dignité à la mer ; la mer n’en devint pas houleuse. Le directeur du Figaro congédia donc son chroniqueur et l’aida à fonder la Lanterne, dont il partagea, dit-on, les bénéfices ; mais il ne voulut pas abuser de la situation et laissa à Rochefort seul les mois de prison. La Fontaine a fait là-dessus une très-jolie fable où il est question de marrons. — La Lanterne obtint un succès fou ; Rochefort y gagna quarante-cinq mois d’emprisonnement et 275 000 francs d’amende, mais il eut le bonheur qu’il désirait depuis longtemps : celui de donner la jaunisse à l’impératrice. — Rochefort se réfugia à Bruxelles, où il continua à faire paraître sa Lanterne, qui fut traduite en toutes les langues de l’Europe, sans cesser de l’être ici en police correctionnelle. — Rochefort s’est battu en duel en plusieurs circonstances : une fois à propos d’un article irrévérencieux pour la reine d’Espagne, une autre fois au sujet d’un autre article sur Jeanne d’Arc.

Sans cette circonstance qui a voulu que le même homme croisât le fer à cause de ces deux femmes, nous croyons que l’idée ne serait jamais venue à personne de chercher entre elles le moindre point de ressemblance.