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que si les conquêtes font toujours le malheur des vaincus, elles ne font pas toujours le bonheur des vainqueurs. — Abd-el-Kader, à la tête d’une poignée d’hommes, obtint, en 1832, quelques succès sur nos troupes ; il fut tantôt heureux, tantôt repoussé ; mais son influence allait toujours en croissant. — Enfin, en 1834, il se trouva dans une assez bonne situation pour pouvoir conclure avec la France un traité qui fixait la limite de son royaume. Le gouvernement français n’était pas fâché d’en finir ainsi ; il s’était mis sur les bras un enfant d’adoption qui ne voulait pas prendre le sein, et qui ne négligeait aucune occasion de griffer une nourrice dont il n’aimait pas le lait ; cela devenait gênant. — Malgré tout notre désir d’être agréable au pays qui nous a donné le jour, nous ne pouvons nous décider à blâmer les Arabes d’avoir montré quelque répugnance à porter des pantalons à sous-pieds. Il faut juger les choses avec équité, et l’on y arrive aisément par voie de comparaison. Supposons qu’aujourd’hui l’empereur de la Chine, mécontent que M. Thiers ait refusé de prendre une prise dans la tabatière de son ambassadeur, envoie trois millions de Chinois pour nous conquérir, y réussisse, et veuille nous faire raser à tous le dessus de la tête, moins une petite queue ; en admettant que ça ne fasse rien à Siraudin, qui est chauve, comment prendraient la chose tous ceux qui ont encore des cheveux ? — Abd-el-Kader profita du repos que lui laissait le traité en question pour en faire des cornets à poivre. Quand il fut suffisamment prêt, les hostilités recommencèrent, et il fallut encore une douzaine d’années à la France pour en finir avec ce Garibaldi de l’Afrique, qu’elle trouvait debout partout et toujours. — Nous venons de comparer Abd-el-Kader à Garibaldi, nous le regrettons. Garibaldi est un patriote qui combattit pour l’indépendance de sa patrie, Abd-el-Kader fut un souverain qui poursuivait avant tout l’idée de conserver son trône ; sa conduite va le prouver de reste. — Fait prisonnier par le général Lamoricière, Abd-el-Kader s’aplatit devant son vainqueur avec la dignité particulière aux rois qui, trahis par le sort des armes, n’ont plus d’autres soucis que de se tailler dans leur défaite un vêtement confortable, et jugent que leur grandeur leur défend de partager le sort des imbéciles qui se sont fait hacher pour eux. — Détenu quelque temps à Toulon, puis au château de Pau, puis au château d’Amboise, Abd-el-Kader ne laissa échapper aucune occasion de témoigner à la France ses sentiments de profonde gra-ou pla…titude. — Peu s’en fallut qu’il ne sollicitât l’honneur d’être envoyé en Algérie à la tête d’un régiment de turcos, pour mettre à la raison les Arabes pétroleurs qui continuaient à croire que c’était arrivé. — Il montra enfin une telle fierté dans le malheur, et un tel amour indompté pour sa patrie, que Napoléon III le fit mettre en liberté le jour même de son couronnement, avec ce dédain que l’on a pour les lions fourbus qui en arrivent à donner la patte a leur gardien afin d’en obtenir un os de côtelette. — Abd-el-Kader se retira à Damas, avec un traitement annuel de 100,000 fr. que lui servait le gouvernement français. — Nota. On cite des zouaves mutilés à Mitidja,