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titres de son père : il fut fait thaleb et marabout de première classe, ce qui lui donnait le droit de marcher à côté du dais, de celui d’Alger. — Ses études ne lui firent pas négliger les exercices du corps, auxquels il devint bientôt de première force. Il avait compris que pour imposer à des gens qui montent bien à cheval, le meilleur moyen est d’y monter encore mieux qu’eux. — À seize ans, il était d’une vigueur et d’une adresse merveilleuses ; debout sur un coursier lancé à fond de train, il s’écrasait un pou sur la tête d’un coup de talon, se faisait les cors avec son yatagan et retombait en selle. — Jaloux d’un tel talent, et redoutant la popularité de cet émule de Franconi, le dey d’Alger tenta de le faire assassiner. Abd-el-Kader s’enfuit en Égypte avec son père et alla visiter le berceau de Mahomet a la Mecque. Ce pieux pèlerinage lui valut les profondes sympathies du peuple arabe, qui n’était pas difficile à contenter, comme on peut le voir. — Pendant son absence, de graves événements s’étaient passés à Alger. Notre consul, M. Deval, s’étant un matin présenté devant le dey pour lui offrir ses civilités, au moment où celui-ci était agacé par une mouche qui se posait avec acharnement sur son nez, un mouvement brusque qu’avait fait le dey avec son éventail, pour chasser l’insecte, avait été interprété comme un geste de mépris pour le gouvernement français : la guerre avait éclaté, et Alger était tombé en notre pouvoir après un bombardement en règle. — Le moustique fut au désespoir d’avoir causé l’asservissement de sa patrie. Il était trop tard ; il alla se suicider à la flamme d’un bec de gaz ; mais il le regretta dès le lendemain, ayant appris qu’il n’était pour rien dans cette guerre funeste, attendu que si le dey n’eût pas fait son mouvement d’éventail, l’ambassadeur de France se fût fâché tout de même, prétendant qu’en le recevant avec une mouche sur le nez, le dey d’Alger avait nécessairement eu l’intention d’humilier le gouvernement français. Tout le monde sait, d’ailleurs, que les ambassadeurs, entretenus a l’étranger pour assurer la paix, n’ont été inventés que pour faire naître les prétextes à déclarer la guerre. Toute la diplomatie tient dans ces deux dépêches que les gouvernements envoient à leurs chargés d’affaires : « Nous ne sommes pas prêts, continuez à danser le cotillon d’un air souriant » ou bien : « Il ne nous manque plus un bouton de guêtre, faites-vous écraser un cor en avançant votre pied sous celui du roi, prenez un air pincé et demandez vos papiers. » — Lorsque Abd-el-Kader revint en Algérie, les tribus arabes, qui n’avaient pas encore pu digérer qu’un coup d’éventail changeât leur nationalité, se mettaient en devoir de s’opposer a ce qu’on les forçat de s’habiller comme Capoul. Ils choisirent le père d’Abd-el-Kader pour les commander, et, après quelques succès remportés sur les Turcs par ce dernier, ils lui proposèrent de le reconnaître pour leur roi. — Abd-el-Kader père refusa, leur proposa son fils à sa place, et bientôt Abd-el-Kader fils entreprit, pour la délivrance de son pays, une guerre sainte qui fit souvent faire à la France cette réflexion un peu tardive,