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vatoire, et, ses études terminées, il se présenta à l’Odéon ; mais comme le jeune artiste affichait déjà des instincts révolutionnaires au point de vue dramatique, et prétendait s’asseoir sur les sacrées traditions d’un genre qui pour être vieux n’en était que plus ennuyeux, les versailleurs d’Œdipe et de Britannicus le reçurent comme un marchant de caleçons de bain en plein hiver. — Repoussé, il entra aux Funambules et de là au Cirque. Cependant, l’Odéon l’accueillit ; il n’y resta que cinq mois, parce qu’il ne se sentait guère plus à l’aise dans les rôles crevants de la tragédie qu’un lion du Sahara forcé de se promener sur le boulevard des Italiens avec un pet-en-l’air et un col cassé. Il entra à l’Ambigu et y débuta, le 2 juillet 1823, dans l’Auberge des Adrets, qui fut sauvée grâce à sa création inouïe du type de Robert Macaire, continué depuis avec tant de bonheur par Vélocipède père. — Dès ce moment, date le succès de Frédérick ; ses appointements furent élevés a un chiffre énorme, ce qui lui permit de ne pas payer ses dettes, mais d’en faire de nouvelles. — Il créa ensuite à la Porte-Saint-Martin Trente ans ou la Vie d’un joueur avec un immense succès, et le rôle de Méphistophélès dans Faust lui valut un nouveau triomphe. On raconte à ce sujet qu’il étudia pendant plus d’un mois une grimace effrayante, et que lorsqu’il l’eut trouvée, il sortit dans la rue pour en essayer l’effet sur les passants. Cet effet fut irrésistible ; en le voyant venir à soi, tout le monde descendait du trottoir, les chiens se sauvaient, en baissant la queue, dans les jambes de leur maître ; huit femmes enceintes, à qui Frédérick avait été demander son chemin, accouchèrent séance tenante d’un tas de phénomènes ; enfin, au coin de la rue Rambuteau, il se trouva nez à nez avec Louis Veuillot. Pendant quelques secondes Frédérick eut peur, il craignit d’avoir trouvé son maître. Les deux monstres se regardèrent fixement ; Veuillot ne reculait pas ; un instant la victoire fut indécise ; mais Frédérick eut, comme toujours, un éclair de génie : il se mit à loucher de toutes ses forces ; Veuillot, vaincu, prit la fuite. — Le gouvernement de Charles X, qui avait eu vent de cet épisode, fit faire à Frédérick des offres brillantes pour dissiper les rassemblements sur les boulevards. L’illustre artiste les repousse. À ce moment, Frédérick était tellement adoré du public, qu’il se permettait envers ce dernier des farces les plus extravagantes. En pleine scène, il courait tourner le robinet du compteur et éteignait le gaz. En jouant Buridan, dans la Tour de Nesle, il tirait de sa poche des lunettes vertes et se les posait sur le nez. Un soir, il interrompit le grand monologue de Ruy-Blas, et, appelant le régisseur, il lui remit trois sous pour lui envoyer chercher la Liberté, afin de voir ce qu’avait fait la Bourse. — Plus tard, il entra à l’Ambigu où il joua les Comédiens et Peblo avec madame Dorval. Ce fut à cette époque que Frédérick tenta d’imposer à son directeur la suppression de la claque de l’administration qui le gênait… notamment lorsqu’elle applaudissait ses camarades, et de la remplacer par une claque à lui personnelle. Frédérick avait précédemment souffleté