Page:Touchatout - Le Trombinoscope, Volume 1, 1871.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chant dans chacune des poches de ses voisins un coin de son drapeau rouge. — M. Ledru-Rollin, après avoir brillamment combattu à la tribune pour toutes les libertés, se trouvait donc vis-à-vis de la Chambre, quand éclata la révolution de Février, dans l’agréable situation d’un homme qui a cassé les carreaux pour avoir de l’air dans un wagon où tous les voyageurs sont vieux, enrhumés et poussifs. — Quelque temps auparavant, pour pouvoir se consacrer entièrement aux affaires publiques, il avait vendu sa charge avec une perte de 110,000 francs. Les figarotins de l’époque en rirent autant que s’il l’eût vendue avec 110,000 francs de bénéfice. La plus belle journée de Ledru-Rollin fut certainement celle du 24 février. Il est bon de rappeler à ce sujet, que le premier soin de l’Assemblée, une fois Louis-Philippe monté en fiacre, avait été de se disposer à proclamer la royauté du comte de Paris. C’était tout juste aussi drôle que de sortir d’un tonneau de bitume pour aller se laver dans un tonneau de mélasse ; mais dans les moments critiques, il est rare que les assemblées potagères trouvent autre chose. Les honorables empaillés du Palais-Bourbon consentaient bien à ce que l’on changeât de forme de gouvernement, à la condition qu’elle restât la même ; déjà, ils levaient le bras pour acclamer le petit-fils de Louis-Philippe, quand Ledru-Rollin escalada la tribune et s’écria que ce n’était pas la peine que l’on se donnât tant de mal pour nettoyer la place si c’était pour y remettre tout de suite les mêmes ordures. Cet argument, beaucoup mieux développé, nous l’avouons, par le fougueux tribun, n’eut pas le bonheur de convaincre la Chambre, attendrie déjà par la présence de la duchesse d’Orléans en train de moucher Toto ; mais il eut du moins l’avantage de gagner du temps et de permettre au peuple d’arriver enfin se mêler un peu de ce qui le regardait. On sait le reste ; la République fut proclamée et un second fiacre emporta ce qui restait de la dynastie d’Orléans. — Ledru-Rollin fit partie du gouvernement provisoire, Lamartine et lui se partagèrent pendant quelque temps la popularité. Ledru-Rollin représentait l’élément violent et radical, il marchait droit au but. Lamartine, lui, était la douceur même, cette bonne et béate douceur angélique avec laquelle on fait Jocelyn quand on est Lamartine, et l’archi-unitéïde quand on est le père Gagne ; mais qui n’a jamais rien valu pour fonder des républiques, surtout quand il y a des monarchistes tout autour. À eux deux ils étaient un bitter gommé ; au fur et à mesure que Ledru-Rollin mettait du bitter, qu’il considérait comme le principe fortifiant, Lamartine remettait de la gomme. À la fin, ce n’était plus que de la gomme, et la République débilitée en mourut. — Pendant son séjour au pouvoir, Ledru-Rollin avait demandé, à la place de l’impôt général des 45 centimes un impôt particulier de 1 fr. 20 centimes sur les riches ; mais encore cette fois, il fut décidé qu’il était de toute justice que l’on assommât le pauvre pour pouvoir seulement effleurer le riche. — Ledru-Rollin persistait aussi à établir une distinction entre