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feuilles de l’opposition, entre autres : le Journal du Peuple et le Charivari, et se livra à de nombreux travaux de jurisprudence. — En 1838, il acheta la charge de M. Dalloz a la Cour de cassation et la pava fort cher quoiqu’elle n’eût pas paru dans l’Éclipse. — En 1839, il se présenta comme candidat à la députation à Saint-Valery-sur-Somme, où il échoua de 11 voix, parce qu’il s’était refusé à adoucir certains angles de sa profession de foi démocratique. Il lui avait semblé, dans son innocence, qu’un candidat ne doit promettre à ses électeurs que ce qu’il est dans l’intention de tenir ; et M. Odilon Barrot, qui le patronait en cette circonstance, lui aurait dit a ce propos : Mon cher, quand l’on est si honnête que ça… on se fait garçon de recettes a la Banque. Deux ans plus tard, il se présenta comme candidat ouvertement républicain au Mans, où il passa a l’unanimité moins trois voix, ce qui permit de connaître au juste le nombre des abonnés du Constitutionnel dans cette localité. — Les discours qu’il avait prononcés, pendant la période électorale, avaient produit sur le gouvernement de Louis-Philippe l’effet que peut légitimement ressentir un homme ordinaire en voyant une centaine de guêpes faire leur nid dans son nez… Le gouvernement ordonna des poursuites contre le nouveau député ; mais, se défiant du jury de la Sarthe, il le traduisit devant la cour d’assises d’Angers, qui condamne M. Ledru-Rollin à quatre mois de prison et à 3,000 francs d’amende ; ce qui prouve une fois de plus que, de même qu’il pleut à verse à trente pas d’un endroit où il ne pleut pas du tout, on peut être condamné à mort à soixante mètres d’un tribunal qui vous eût acquitté. Le gouvernement de Louis-Philippe, comme tous les autres d’ailleurs, avait le nez de bien choisir les juges qui n’étaient pas au coin du quai. Il n’y a qu’un cas ou les gouvernements sont embarrassés par le choix du jury auquel ils doivent recommander leurs accusés, c’est quand tous les jurys semblent s’être donné le mot pour les acquitter. Cela est arrivé quelque fois, et le général Ducrot-Lazare n’en est pas plus fier pour ça. — De 1841 à 1847, M. Ledru-Rollin fut, comme on peut le penser, le chien galeux de la Chambre. Il arrivait avec des opinions absolues et les émettait d’une façon absolue. Trop ardent et trop convaincu pour être souple, il ne se prêtait à aucune de ces combinaisons piteuses, aucune de ces alliances incestueuses grâce auxquelles on voit, dans les assemblées parlementaires, des députés de toutes nuances se grouper sans s’estimer, se réunir quand ils voudraient s’avaler, voter ensemble lorsqu’ils pensent différemment, et constituer sous les rubriques imbéciles de : centre, demi-centre, extra-centre, contre-centre, etc… ces alliances interlopes et ces ententes d’occasion dans lesquelles tout le monde est dupe, personne n’étant de bonne foi. Le caractère tout d’une pièce de M. Ledru-Rollin répugnait à ces petits jeux de petits hommes pour lesquels il se sentait la poigne trop rude ; et il préférait marcher seul, tout seul, bannière largement déployée, plutôt que de se faufiler dans des groupes hétérogènes en ca-