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Rome pendant la semaine sainte ; que vous dirais-je ?… l’occasion… l’herbe tendre… les pompes religieuses… l’odeur de la morue !… tout cela monta au cerveau de Veuillot. Il se fit présenter au pape, qui le trouva d’ailleurs très-laid, se prosterna aux pieds du Saint-Père, baisa sa mule, et, quand il se releva, les effluves de cette chaussure sainte l’avaient purifié. En quittant le Vatican, il jura, en frappant sur sa cuisse, de consacrer sa vie à la défense du Dieu d’amour et de bonté, et, au nom de la religion de mansuétude et de pardon, de traiter tous les gens qui ne diraient pas comme lui de sales pignoufs. Il tint son serment, il revint à Paris, retourna aux halles marchander des merlans pour compléter son vocabulaire, et quand son calepin fut plein, il entra à l’Univers religieux. — Quand éclata la révolution de 1848, Louis Veuillot la salua d’abord avec le même entrain qu’il mit plus tard à lever la patte dessus. — En plusieurs circonstances il s’empoigna avec les évêques à propos de doctrines sur lesquelles ils n’étaient pas d’accord avec lui. Il eut, dans ces discussions, de telles réminiscences de sa marchande de merlans, que l’archevêque de Paris le censura et que Mgr Dupanloup, qui n’est pourtant pas bégueule, défendit la lecture de l’Univers à son clergé. Louis Veuillot en appela au pape et partit à Rome plaider sa cause lui-même ; il fut absous par Sa Sainteté, ce qui le rendit tout fier. — Depuis cette époque, Louis Veuillot a été le plus vaillant champion du pouvoir temporel, de l’infaillibilité du pape, du Syllabus, du principe de l’ignorance gratuite et obligatoire, et enfin d’un tas d’autres choses saintes, du même tonneau, auxquelles nous devons la glorieuse journée de Mentana et le plaisir de voir, de temps en temps, les frères des écoles chrétiennes passer en police correctionnelle pour avoir ajouté une leçon de leur invention au catéchisme qu’ils sont chargés d’apprendre aux petits garçons de neuf à onze ans. — Lors du concile œcuménique, on remarqua a Home la présence de Louis Veuillot qui, simple laïque, n’avait pas plus de raisons pour être là qu’un rédacteur du Figaro n’en a pour entrer dans une maison respectable. Qu’y faisait-il ?… On l’a su plus tard : il prenait des notes pour traiter, selon la formule, dans son journal, les prélats qui apportaient un peu trop de tiédeur à déclarer que le descendant de Saint-Pierre était infaillible au point d’être sûr de ne jamais avoir envie d’éternuer la bouche pleine. — Louis Veuillot a écrit de nombreux volumes dont nous ne donnerons pas la liste ; cela tiendrait de la place ; mais ce n’est là que la seconde raison. — Celui qui a eu le plus de retentissement : les Odeurs de Paris, a été suivi d’un autre : Les Couleuvres qui aurait dû être édité par Lévy père ; ça ne l’aurait pas fait vendre davantage ; mais c’eût été plus drôle sur la couverture. — En 1869, Me Louis Veuillot a été éprouvé par un gros chagrin : sa marchande de merlans est morte d’un coup de sang au moment où elle allait lui fournir un nouveau mot très réussi. Louis Veuillot en a porté le deuil pendant deux ans. Cependant, il faut bien croire qu’il en a retrouvé une autre, puisque tout récemment, il vient d’être rap-