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Victor-Emmanuel visita l’empereur des Français et la reine d’Angleterre. Vapereau fait courir le bruit qu’il fut accueilli avec enthousiasme par les deux nations ; nous étions à Paris à cette époque, et jamais nous n’avons entendu parler de ça. Nous croyons sans peine que Napoléon et Victoria ne l’ont pas fait dîner à la cuisine ; mais quant au peuple de Paris, il a tout simplement fait à Victor-Emmanuel, — et il a eu raison, — l’accueil que les ouvriers d’une usine font à l’ami de leur patron quand ce dernier lui fait visiter ses ateliers, en lui expliquant avec un noble orgueil la manière de se bien nourrir en faisant turbiner les autres. — En 1859, Victor-Emmanuel, qui sentait le besoin de resserrer son alliance avec la France, donnait sa fille Clotilde en mariage au prince Napoléon (voir pour ce nom le trombinoscope 8). Jusqu’alors cette princesse avait été réputée pour ses vertus ; depuis ce jour elle l’est pour ses malheurs. — À partir de ce moment, la fortune sourit à Victor-Emmanuel. Il avait rêvé d’affranchir l’Italie tout entière pour en être seul maître, ce qui équivaut à chiper des chiens à droite et à gauche pour s’en faire une meute ; c’est toujours comme cela que les rois comprennent l’affranchissement des peuples ; les chiens, qui ne savent pas parler, ne peuvent guère s’en plaindre ; les hommes qui parlent l’endurent ; ainsi soit-il ! — Grâce à l’alliance de la France, Victor-Emmanuel conquit la Lombardie et nous donna la Savoie et Nice, qui furent d’ailleurs consultées à ce sujet par un plébiscite auquel elles ne comprirent rien du tout ; juste ce qu’il faut d’ailleurs pour répondre convenablement à ce genre de questions qui se posent toujours comme un poing sur une gorge. — En même temps, la Toscane, Parme, Modène et la Romagne s’annexaient à l’Italie, pendant que Garibaldi travaillait de son côté à l’unité italienne et y ajoutait le royaume de Naples et une grande partie des États pontificaux, en moins de temps qu’il n’en eût fallu pour coller du papier sur le nez de Pie IX, lequel augmentait de longueur au fur et à mesure que les États de son maître diminuaient de superficie. — À partir de ce moment, l’esprit chevaleresque de Victor-Emmanuel, le roi galant homme, s’affirma sous un jour tout à fait nouveau. Pendant que Garibaldi travaillait comme un nègre à lui conquérir les provinces qui lui manquaient encore, Victor-Emmanuel le désavouait officiellement, tout en lui disant en dessous : Apporte ici. — En 1866, Victor-Emmanuel dut la Vénétie à son alliance avec la Prusse ; il ne lui manquait donc plus que Rome ; mais autant la France avait mis de soins à aider l’Italie à se reconstituer, autant elle mit d’entêtement à la priver de sa capitale ; c’est à ce chef-d’œuvre d’habileté que nous devons aujourd’hui de voir un pays, à qui nous avons fait du bien dans le temps et du mal depuis, ne se souvenir que du mal et nous regarder de travers. — Garibaldi tenta un coup de main contre Rome ; deux décharges de nos chassepots à Mentana effacèrent le souvenir de Magenta, comme le reproche amer du bienfaiteur efface dans le cœur de l’obligé le souvenir du service rendu. — Bien entendu, Victor-Emmanuel continua son petit manége et protesta