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Nous aimons mieux penser tout simplement que M. Dufaure fit à la République, à laquelle il ne pensait guère, l’accueil que l’on fait généralement au gêneur qui vient partager votre dîner quand on lui dit en souriant : Ah ! très-cher, je pensais justement à vous !… Asseyez-vous donc !… — Si la République de 1848 n’avait pas été une si bonne fille, croyant naïvement à tous les compliments qu’on lui débitait, elle eût jeté un coup d’œil sur la table de M. Dufaure, et se fût aperçue que son hôte l’attendait si bien, qu’il n’avait pas du tout fait mettre son couvert. — Il prit place à la Constituante comme représentant de la Charente-Inférieure et vota tantôt avec la gauche, tantôt avec la droite. — Ce fut lui qui combattit le principe du droit au travail et proposa d’y substituer celui de l’assistance fraternelle. Encore un bon cliché que celui-là !… et qui permet d’ajourner jusqu’au jugement dernier la question des misères sociales en répondant aux gens qui cherchent un moyen d’empêcher le peuple de mourir de faim : Qu’est-ce que vous avez à réclamer ?… Nous venons encore de verser vingt-cinq francs à la société de Saint Vincent-de-Paul !… La théorie de M. Dufaure, prétendant remplacer le droit au travail par l’aumône, suffirait seule à donner la mesure de ses convictions démocratiques. Il est d’ailleurs en cela le digne émule de M. Thiers, qui, depuis, chicane pendant cinq semaines l’Assemblée de Versailles pour que l’indemnité à laquelle avaient droit les citoyens ruinés par la guerre s’appelât un dédommagement. Indemnité impliquait un droit, dédommagement voulait dire : secours ou, mieux : aumône, et le principe du chacun pour soi restait sauf. M. Dufaure, comme M Thiers, obéissaient ainsi à leur instinct naturel, qui est la haine du socialisme ; ils comprenaient très-bien tous deux que, s’ils laissaient prendre par le droit reconnu la place de l’aumône facultative pour les riches, le principe de la grande solidarité sociale après laquelle les soi-disant utopistes courent avec persistance, serait bien près d’être consacré ; et ils sentaient que cela nous menait tout droit où… ils ne veulent ni aller ni nous conduire. — M. Dufaure combattit la candidature à la présidence de Louis-Napoléon au profit de celle du général Cavaignac, pensant, selon sa propre expression, que le pays « devait choisir un homme et non pas un nom. » M. Dufaure avait parfaitement raison ; mais après, il n’en soutint pas moins la politique du nouveau président comme s’il avait eu tort. — Le 2 juin 1849, Louis-Napoléon lui offrit le portefeuille de l’intérieur. Nous voudrions, au moins une fois étonner nos lecteurs ; mais… pas moyen : M. Dufaure accepta ; il donna pour motif l’intérêt de la Constitution qu’il fallait sauvegarder. « Ne croyez pas que je vous trahis, mes frères !… si je passe à l’ennemi, c’est pour mieux veiller sur vos intérêts ! » Celle-la est toujours drôle. — En arrivant au pouvoir, son premier soin fut de faire fabriquer une enfilade de lois serre-frein contre la garde nationale, les réunions politiques, etc., etc. On se serait cru en 1872, si tout cela ne s’était pas passé 23 ans avant. Après le coup d’État du 2