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jamais repartir. — D’abord avocat distingué, M. Dufaure entra dans la vie politique en 1834. En cette année il fut élu député par l’arrondissement de Saintes, qui continua de le réélire jusqu’en 1848, par ce mouvement machinal particulier aux gens qui restent toute leur vie abonnés au Constitutionnel et ne seraient certainement pas capables de dire pourquoi. — À la Chambre, il prit place dans les rangs du parti libéral constitutionnel, c’est-à-dire de ce parti qui n’en prend jamais aucun, de ce parti aussi commode qu’avantageux qui a pour spécialité de chanter : Marchons ! marchons !… comme les chœurs de Guillaume-Tell, sans jamais bouger de place… surtout de la leur. — Il fut conseiller d’État en 1836, sous un des quarante-trois ministères de M. Thiers. — Nommé ensuite ministre des travaux publics, il dut traiter à fond la question des routes de la Corse, cet intéressant département, qu’avec la meilleure volonté du monde, on ne pourra jamais doter du nombre de grands chemins auxquels il a droit, — M. Dufaure combattit la loi sur les fortifications de Paris ; mais M. Thiers, qui savait parfaitement tout le parti que l’on pouvait tirer du Mont-Valérien pour défendre Paris, et au besoin pour le prendre, sut faire prévaloir son opinion. — On s’accorde généralement à dire que les gouvernements qui enferment les gouvernés avec tant de soin, sous le prétexte de les préserver des ennemis du dehors, rappellent beaucoup les hommes qui mettent un tas de verroux à leurs portes afin d’être plus tranquilles pour battre leur femme. — Entre autres services signalés que les portes établies autour de Paris rendirent à la France, on cite principalement la superbe occasion qu’elles fournirent à M. Ducatel, surnommé le Brissac du XIXe siècle, de se faire nommer chevalier de la Légion d’honneur en les ouvrant. — M. Dufaure fut nommé vice-président de la Chambre en 1845 et bientôt après blâma les banquets réformistes comme in-cons-ti-tu-ti-on-nels. Tant que ce grand bête de mot, qui ressemble typographiquement à un train de marchandises arrêté sur un pont, sera dans le dictionnaire, il restera assez de quoi rire en France. S’il fallait, quand un gouvernement devient intolérable, attendre pour lui mettre les quatre fers en l’air que l’on ait trouvé un moyen constitutionnel de le renverser, autant vaudrait former le projet de démolir la porte Saint-Denis rien qu’en la regardant avec colère. Comme ordinairement le pouvoir ne pousse pas la prévenance jusqu’à insérer dans ses constitutions un paragraphe spécial devant servir à le mettre sens dessus dessous, il aurait mauvaise grâce à exiger qu’on le renversât légalement. M. Dufaure, en déclarant in-cons-ti-tu-ti-on-nels les banquets de la réforme, nous fait donc, à peu de chose près, l’effet d’un casuiste féroce qui trouve qu’un homme, enfermé dans une cave dont on a muré toutes les portes, manque à l’honneur en cherchant à s’échapper par le soupirail. — Après la Révolution de février, M. Dufaure, si l’on en croit Vapereau, que nous ne croyons pas, se rallia franchement à la République.