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L’EXODE

bleau !… C’est à n’y pas croire !… Étions-nous des imbéciles, des visionnaires, ou simplement des dupes ?… Je commence à croire que Léon n’avait pas tort en me traitant de vieux fou…

C’était de son fils qu’il parlait ainsi, jeune ingénieur électricien « de la nouvelle génération », que Frédéric n’avait pu convertir à son austère idéalisme.

De nouveau, il soupira :

— C’est la barbarie qui va s’étendre sur le monde !

— Oui, dit Philippe, c’est la fin de tout… Je ne crois plus à rien.

Frédéric montra du regard le portrait de Nietzsche, à la muraille :

— Hein !… Est-elle assez lâche, assez vile, sa morale des forts !… Il devrait bien ressusciter, l’animal, et voir ses disciples à l’œuvre !… Ah ! Dieu… en a-t-il fourni des prétextes à la mufflerie de ses contemporains !

Philippe, qui suivait sa propre pensée, murmura :

— Dire que pas un de nous n’est sûr de vivre, après l’arrivée de ces brutes !

— Si nous étions en guerre contre la France, nous penserions à des hommes sous l’uniforme du soldat !… Mais le Prussien : un casque à pointe et une baïonnette !

La terreur même qu’inspirait l’Allemagne la marquait au front du signe d’infamie.

— Pouah ! fit le peintre, qui se leva, ne pouvant tenir en place.

— C’est honteux ! dit Frédéric, après un long silence…