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L’EXODE

Et il écume d’indignation. Personne, cependant, n’écoute ses bravades, chacun ayant trop de ses propres angoisses.

Des officiers se démènent aux abords de la gare ; d’autres courent sur la plaine des manœuvres, où des canons en détresse attendent les chevaux qui n’arrivent pas.

Un mois avant la guerre, les Allemands sont venus acheter à prix d’or la réserve des maquignons, et il faut dételer les voitures dans les rues, afin que les canons partent cette nuit.

On en voit qui roulent sur la vaste plaine, et dont les attelages de fortune ruent d’épouvante au clairon des artilleurs. Un cavalier tombe ; un étalon se cabre la crinière au vent ; un soldat s’élance pour le saisir par les naseaux. Et des hennissements se mêlent au sifflet strident des locomotives, au bruit des wagons entrechoqués, tandis que, sur le boulevard, les autos, à coups de trompe, s’ouvrent un sillage dans la foule en rumeur.

Le vent soulève un nuage de poussière ; à l’horizon, le soleil décline, évoquant la flamme des incendies, la rougeur du sang qui va couler bientôt.

Les trompettes sonnent. On se découvre devant les soldats qui s’en vont à la mort…

Ils s’en vont, courbés sous leur sac, au-devant de la plus puissante armée du monde ; et ils y vont seuls, avec le courage du faible exaspéré par une grande injustice, avec le courage des cœurs honnêtes que révolte la tyrannie des forts.