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L’EXODE

la foule devient plus fiévreuse ; un cortège de volontaires passe au milieu des acclamations ; des gardes civiques, appuyés sur leur fusil, résistent, comme des pierres, au courant agité des curieux.

Sur les trottoirs, les camelots font leurs affaires en liberté. Leurs yeux mobiles ne cherchent plus au loin le képi des agents de police ; ils offrent au public des cocardes tricolores, des poupées alsaciennes, des cartes postales illustrées d’une choucroute et d’un saucisson de Francfort :

— Demandez, messieurs et dames, les derniers produits de la culture allemande !

Mais une vague s’élève, la multitude reflue vers le centre des boulevards, où défilent des réservistes qui s’en vont à la frontière. On acclame un nègre en uniforme de grenadier — un volontaire dont les dents blanches reluisent dans un sourire de chocolat.

Une autre vague s’approche, puis se gonfle et se répand. On aperçoit un soldat français, porté par la foule en délire et flottant, comme une bouée rouge et bleue, sur une mer de chapeaux agités.

Cent mille poitrines ovationnent la France. Le soldat lève son képi ; des femmes, du haut d’un balcon, lui lancent une poignée de fleurs. Tout à coup, la Marseillaise, battant des ailes sur les fronts découverts, s’envole au-devant du cortège qui entraîne avec soi la multitude éperdue. Et l’on chante, on pleure, on marche à la victoire en se donnant le bras ; car on sent que l’Allemagne sera vaincue, malgré ses canons, ses