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L’EXODE

parvenus le repoussaient du pied, tandis que les « arrivistes » lui pendaient aux talons.

Philippe admira de grands navires découpant sur le ciel de puissantes architectures, des cheminées d’usines fumant à l’horizon d’un paysage, des puddleurs, au torse nu, découpés en noir sur un fond d’incendie, et des bâtisseurs de ville, des gares sinistres, des ports hérissés de grues hydrauliques, toute une illustration décorative du commerce et de l’industrie, où Sauvelain exaltait l’homme dans la beauté de l’effort musculaire et du travail au pays du fer et du charbon.

Philippe, admirant l’énergie de ces œuvres — dont la facture somptueuse et large avait si longtemps effrayé les amateurs — ne pouvait s’empêcher de croire que ce monde fumeux et sombre, où l’on travaillait « à la sueur de son front », apportait à l’humanité plus de servitude et de misère que de véritable richesse et de réel bonheur…

À la rue, le souvenir lui revint de Lucienne, qu’il avait oubliée dans la grandeur des inquiétudes communes.

Depuis quelques jours, le sentiment de sa propre existence était obscurci au point que Philippe ne s’étonna guère de la soudaine éclipse de son amour.

Ce pauvre amour, à présent, lui donnait à sourire, comme les scrupules moraux et les utopies humanitaires dont il constatait la brutale destruction…

Chez les Fontanet, le concierge annonça que ces dames étaient sorties. Philippe en éprouva de l’humeur.