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PREMIÈRE PARTIE

Mais il sourit à cette illusion qui lui montrait le bonheur au bout d’un long voyage. Les paroles de Lucienne lui revinrent à l’esprit : « Vous appelez cela vivre ? J’appelle cela se déplacer ».

Et, repris par les contradictions qui se débattaient en lui, il retourna vers son hôtel.

Le lendemain, devant la gare du Nord, à Bruxelles, des vendeurs de journaux criaient des « éditions spéciales ».

Sans remarquer l’animation de la place, les Héloir et les Fontanet se quittèrent, en se promettant de se revoir bientôt.

Dans le taxi, chargé de bagages, qui l’emportait par les rues calmes d’un faubourg, Philippe songeait au livre qu’il se proposait de commencer.

Bien qu’il n’eût guère de confiance dans les hommes, il ne pouvait s’empêcher de croire à l’avènement d’un monde meilleur. Dans ce monde-là, il aurait pu aimer Lucienne. Marthe n’eût point souffert de cet amour, car il eût embelli sa propre vie. Dans ce monde idéal, chacun recherchait les occasions de dévouement à la communauté. L’homme ne se sentait plus seul, l’égoïsme, la jalousie, l’âpre convoitise de la propriété disparaissaient comme des organes inutiles, sous l’influence d’une sélection plus intelligente et plus douce. La confiance remplaçait la peur. Des êtres plus sains, plus instruits, plus libres surtout, ne laissaient point