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L’EXODE

cote, où, dans un regard elle avait offert son âme. Lui, il était demeuré les mains inertes, comme un pauvre à qui l’on offre un trésor.

Il n’avait pas osé le prendre !

Peut-être, un jour, se rappelant le passé, tendrait-il ses mains tremblantes vers les heures lumineuses où il avait aimé. Toutes les autres s’évanouiraient dans l’ombre, avec ses ambitions littéraires, sa volonté de parvenir, les œuvres mêmes qu’il aurait accomplies ; tout s’envolerait au néant, avec la poussière de son orgueil !…

Retournant vers l’hôtel, il s’arrêta devant un bureau de navigation. Une carte du monde, en relief, s’étalait au plancher de la vitrine, dans un éblouissement d’électricité. Les lignes maritimes, tracées en rouge dans le bleu des océans, portaient de minuscules navires. Les uns s’en allaient vers les pays du fer et du charbon, où l’on voyait un grouillement dans les ports ; d’autres s’en allaient, isolés et lointains, vers les pays évocateurs de l’existence heureuse : le Bengale… Sumatra… les Îles du Pacifique. Et l’écrivain, perdu dans un rêve, imaginait des avenues bordées de palais, où des éléphants passaient au soleil, des Indous à pieds nus marchaient dans la poussière… Il voyait, à l’ombre des palmiers, des femmes se baigner dans l’eau vive des rivières… Et la vie nomade… le campement sous la tente… les jours qui se suivent et ne se ressemblent pas… la beauté d’une existence libre, sans les contraintes innombrables qu’impose la civilisation.