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L’EXODE

Quant aux fleurs déracinées, elles s’en vont à la dérive, entraînées vers les roseaux du bord, où elles achèvent de se flétrir…

La pensée l’accablait de cette volonté impitoyable de l’espèce, indifférente à l’individu.

Que l’homme est peu de chose au regard des forces qui le dirigent ! Que tout s’accorde à réduire sa misérable liberté ! Aux fatalités intérieures s’ajoutent les contraintes innombrables qui le prennent à son berceau pour le suivre jusqu’à son cercueil.

Et, tout le long de cette existence d’esclave, son âme, qui semble se souvenir d’un monde où elle était heureuse, ne cesse de se tourmenter d’irréalisables aspirations !…

Songeant ainsi, il arriva au pont du Rhin.

Le fleuve bouillonnait dans l’ombre ; une barque le traversait, retenue par un troley. Le passeur, godillant à l’arrière, se dressait en noir sur les lumières de l’autre rive, où des toits à pignon se devinaient sous la lune. Ce romantisme rappelait à Philippe le deuxième acte des Maîtres-Chanteurs, et, par dérivation de pensée, les années de sa jeunesse, où rêvant de gloire et de symphonies héroïques, il promenait ses longs cheveux dans les rues de Berlin…

À ce souvenir, une tristesse l’accouda sur le parapet du vieux pont.

Qu’avait-il fait depuis ce temps-là ? Peu de chose… De nombreuses tentatives, de continuels recommencements… C’est ma faute, se dit-il, j’ai manqué la