Page:Torcy (Blieck) - L'exode, 1919.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
PREMIÈRE PARTIE

l’élever dans la clarté, dans la joie de vivre, en accord avec ses plus hautes aspirations.

Mais Philippe, loin de répondre à l’appel muet de la vie, se raidissait contre la tentation du bonheur. Avec une dureté puritaine, il s’arrachait du cœur le désir de la joie, de l’existence heureuse. Dans le doute angoissé d’une morale qui n’était pas encore, il craignait de s’affranchir, il s’accrochait au devoir par un instinct de conscience plus fort que tous les raisonnements. Il avait peur d’affirmer à la face du monde un sentiment qu’il sentait noble, qui l’eût exalté, rajeuni, soutenu dans les hauteurs, mais qui, pour d’autres, serait une raison de souffrance, et que la plupart des gens ne comprendraient pas.

Non, il renonçait !

Et il savait qu’en renonçant à cet amour, il se coupait les ailes, qu’il aurait à marcher péniblement, et dans la solitude misérable de l’âme, vers un but moins élevé que sans doute il se découragerait d’atteindre, parce que rien ne vaut la peine d’un effort qui ne tend point vers l’amour…

Mais, soudain, la voix de Lysette résonna derrière l’église. Lucienne, se levant aussitôt, se dirigea vers la sortie. Relevant au genou sa jupe garnie de volants, elle gravit lentement les marches de l’arcade.

Quand elle eut disparu, Philippe sentit saigner son cœur — son pauvre cœur qui s’égouttait parmi les roses. Et, soupirant, il contempla toutes ces fleurs,