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PREMIÈRE PARTIE

jeune fille… Mais, passez l’interrogatoire… Vous lirez cela plus tard… Lisez la lettre de l’homme… tout haut, s’il vous plaît. Je voudrais l’entendre encore…

Dépliant la coupure du journal, Philippe lut à mivoix la lettre du suicidé :

« Chère femme. J’ai eu de grands torts envers vous, et j’en ai souffert plus que je ne puis vous l’écrire. Vous savez, pourtant, que je ne suis pas mauvais et que ce n’est pas ma faute si je vous ai fait pleurer. Dites-vous bien que Nora et moi nous sommes les vrais martyrs. Nous étions si attachés l’un à l’autre que, malgré tous nos efforts, nous n’avons pu nous séparer. Nous savions, en partant, que la souffrance et la misère nous attendaient. Cela ne nous a point retenus. Nous ne pouvions plus lutter. Maintenant, la misère est venue, et nous acceptons courageusement notre destin. Nous avons d’abord eu l’envie de retourner au pays, mais à quoi bon ? Il n’y a plus de place pour des gens comme nous.

« Je ne crois pas avoir fait de mal à personne, du moins volontairement. Si vous avez tant souffert, c’est bien malgré moi, et parce qu’il y a des choses en ce monde que je ne comprends pas, qui sont plus fortes que ma volonté.

« Aussi, à l’idée qu’on nous jetterait la pierre, qu’on nous repousserait partout, que nulle part on ne me donnerait du travail, nous préférons mourir ensemble.

« J’ai écrit pour obtenir des travaux d’architecture, mais on ne m’a pas répondu. Il est donc inutile d’es-

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