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PREMIÈRE PARTIE

Ils s’isolaient à table ; ils ne se quittaient point du regard.

— De nouveaux mariés ! soupirait Marthe, qui les déclarait charmants.

Mme Fontanet les jugeait un peu ridicules :

— Je m’étonne qu’une Anglaise n’ait pas plus de discrétion.

À les voir, la famille italienne échangeait un sourire où se marquait la supériorité de leur indifférence. En servant « les amoureux », les garçons de restaurant se composaient un air grave, où l’on démêlait une nuance de désapprobation.

Philippe devina entre ces deux Anglais un sentiment plus sombre que la tendresse conjugale. Parfois, à l’heure où l’on quittait le jardin, il y demeurait à songer. « Les amoureux » s’y attardaient régulièrement. À demi caché par le feuillage, l’homme tenait dans la sienne la main frêle de sa compagne. Ils restaient ainsi, comme accablés de souvenirs, et il y avait dans leur bonheur une telle mélancolie, que Philippe, intrigué, en cherchait la raison.

Un soir qu’ils s’étaient longtemps parlé à voix basse, l’homme, baissant la tête, se prit le front dans les mains. La jeune femme parut hésiter, puis, après un coup d’œil circulaire, attira son amant contre sa poitrine, pour le protéger de la détresse dont il semblait souffrir.

À pas discrets, Philippe sortit du jardin, troublé par cette folie de tendresse qui exaltait la sienne.