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L’EXODE

Enfin la barque disparut au tournant d’un promontoire, et Lysette, les yeux débordants, se réfugia dans le salon désert…

Lugano, avec ses grands hôtels et sa rive cosmopolite, parut aux Héloir d’une prétentieuse banalité. Après quelques jours de flânerie sous les arcades ombreuses de la vieille ville, Philippe regretta l’intimité de Gerseau.

Mme Fontanet vint, d’ailleurs, dissiper les rêves dont Lucienne et lui s’étaient un moment grisés. Retombant aux réalités ordinaires, il traîna son ennui derrière ces dames, qui s’intéressaient aux vitrines des magasins ; et, de se sentir seul, réduit à lui-même, le monde, à nouveau, lui sembla décoloré.

Lucienne avait accueilli sa mère avec plus d’effusion que de véritable tendresse. Les deux femmes s’étaient comblées de sourires et de noms charmants. Il n’en paraissait pas moins, sous leurs paroles aimables, qu’un désaccord de sentiment les retenait dans la froideur.

Lucienne éprouvait en un jour plus d’enthousiasme et de désirs que sa mère n’en avait éprouvé durant toute sa vie. Mme Fontanet demandait à sa fille de plier son imagination aux convenances du monde où l’appelait sa fortune. Mais, depuis sa dernière expérience mondaine, Lucienne était lasse des beaux messieurs vernis, des chères dames dont la conversation semble découpée d’un journal de modes, surtout elle se sentait lasse de bâiller une existence inutile, sans joies