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PREMIÈRE PARTIE

rations ! Mais le meilleur de son âme s’épuisait à rêver. Comme toutes les jeunes filles de sa condition, elle attendait le mari, qui tardait à venir et qui seul pouvait la délivrer de l’automatisme d’une existence où ses hauts désirs demeuraient inassouvis.

— Peut-être bien, dit-elle encore, épouserai-je à trente ans un monsieur quelconque, pour ne pas mourir vieille fille. Ce sera par dépit, et je me consolerai en écrivant les romans d’amour que je n’aurai pas vécus !

— On n’écrit que ceux-là ! observa Philippe. Quand on peut vivre un roman, on n’éprouve pas le besoin de l’écrire.

— Justement… C’est pourquoi je préfère le vivre… Aussi, tenez pour certain que le monsieur quelconque sera trompé… Il me semble que j’en aurai le droit.

Marthe, qui s’occupait dans sa chambre, s’était approchée de la porte, afin d’évaluer la nuance d’un ruban :

— Je crois plutôt, ma fille, que tu lui broderas des pantoufles.

— Par exemple !

— Tu finiras, comme toutes les femmes, par te résigner.

— Voire !… j’ai lu quelque part qu’il ne faut se résigner qu’au bonheur.

Et elle se leva, les mains dans les poches de son golf de soie blanche.

— Vous allez bien ! s’écria Philippe, qui, à son tour, se mit debout. Pendant que vous y êtes, dites, comme