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L’EXODE

dépourvu de ce que son mari appelait le sens des réalités.

Si elle avait su qu’il préparait un livre pour exalter la valeur de l’entr’aide, Seigneur, de quel regard ne l’eût-elle point accablé !

Après chacune de leurs conversations, Philippe croyait moins à la valeur des idées généreuses. Et il lui fallait un bon quart d’heure de solitude pour neutraliser les poisons de la méfiance et du scepticisme que Mme Grassoux lui laissait dans l’esprit.

Jusqu’alors, il n’avait pu commencer son livre. De trop vastes inquiétudes accablaient sa pensée. On vivait suspendu aux nouvelles de la guerre, et l’on attendait, en regardant la mer, le jour incertain de la délivrance. On ne pouvait lire que le journal, et l’espoir d’un revers allemand importait plus à Philippe que la littérature universelle.

D’autre part, il commençait à douter de ses propres aspirations, qui lui semblaient vaines, irréalisables, trop purement théoriques. Et ce qu’il voyait au Refuge n’encourageait que médiocrement son espérance en un monde plus généreux.

Les réfugiés même, qu’une communauté de misère aurait dû convertir à la sympathie mutuelle, se montraient sottement égoïstes, sans disposition à la fraternité.

Le moindre Belge croyait avoir sauvé l’Europe. Grisé par l’éloge des journaux, il devenait exigeant, il voulait vivre à part, dans une grande ville, et fatiguait