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essaya de rouler une cigarette. Mais ses doigts gourds tremblaient, puis il n’y voyait plus. Il souffrait moins, pourtant, qu’il ne l’avait redouté. Tant d’inquiétudes plus profondes l’avaient accablé, ces derniers temps, que ses nerfs détendus s’étaient épuisés à souffrir.

Ayant allumé sa cigarette, il descendit vers le port. Bien qu’il serrât les poings au fond de ses poches, il se sentit navré. Tant de souvenirs, d’espoirs, d’illusions s’éloignaient avec Lucienne ! Elle était, pour lui, la douceur du passé… Quant à l’avenir…

Dieu seul savait ce qu’il apporterait de souffrances et combien la vie serait sombre, brutale, dans un monde sans justice, dominé par les Allemands…


III


À constater l’optimisme de l’Angleterre, les réfugiés prirent bientôt une vue tragique de leur situation. Chaque jour, l’un ou l’autre tombait à la charité publique, incapable d’une résistance plus longue et sans pouvoir s’assurer du travail.

Certes, on accueillait généreusement les Belges, mais, par un accord tacite, on se refusait à leur donner de l’ouvrage. Les trades unions influençaient le gouvernement, lequel influençait les comités qui, à leur tour, décourageaient la main-d’œuvre étrangère.

Ainsi, quand on n’avait plus de rentes, fallait-il dépendre d’un comité de secours.