Page:Torcy (Blieck) - L'exode, 1919.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
QUATRIÈME PARTIE

— Si, je la crains, et terriblement ! Mais que voulez-vous ? Si elle vient, je lui dirai, comme l’autre : à nous deux maintenant !

Lui prenant le bras, il dit encore :

— Je ne suis pas vaincu, et je n’entends pas l’être.

Mais elle le retint :

— Et la littérature ?… Vous ne la laisserez pas, dites ?… Malgré la guerre, malgré tout ?

— Moins que jamais ! Soyez tranquille. Le temps n’est plus des jolies phrases, mais des pensées courageuses… pour ceux, du moins, qui n’ont plus la force de tenir un fusil.

Un peu plus tard, comme on voyait au loin les lumières de la ville, Lucienne pensa qu’il fallait se dire adieu.

— Quittons-nous maintenant, Philippe ! Là-bas, nous ne serons plus seuls… Allons, embrassez-moi… embrassez-moi bien fort !

Elle n’en put dire davantage, car elle sentait venir les sanglots.

Ils s’étreignirent longuement, mais sans passion. Leurs lèvres glacées, la neige qui leur mouillait le visage, le chagrin surtout les laissaient incapables d’ivresse.

Comme tant d’autres choses, dans la vie, ce baiser venait trop tard. D’ailleurs, le fantôme de la guerre se dressait entre eux, les poussant chacun vers un nouveau destin.

Quand elle s’éloigna du côté de la ville, Philippe