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QUATRIÈME PARTIE

auparavant, il croyait, au contraire, que Lucienne eût été prête à tous les sacrifices, et que Marthe plus prosaïque, n’avait d’autre souci que le confort du ménage.

— Votre mère a raison, dit-il enfin, sans regarder Lucienne. Qui sait ce que la guerre peut durer ? Les Russes reculent en Pologne, et nous piétinons sur place. Quant aux Anglais, ils se préparent, mais si lentement ! … Peut-être seront-ils prêts, quand les autres seront épuisés.

Avec cette mobilité d’humeur, que ses nerfs ébranlés poussaient à l’extrême, il accepta l’idée de la séparation.

— Quand partez-vous ? demanda-t-il brusquement. Lucienne, le front baissé sous la bise qui soufflait de la mer, avoua que Mme Fontanet avait demandé des passeports et qu’on les attendait d’un jour à l’autre.

Ils arrivèrent aux falaises, d’où l’on domine le port. La marée basse découvrait des blocs écroulés, gluants d’algues brunes, parmi les flaques luisantes, que le vent ridait tout à coup. Près d’une rampe de bois, les bateaux de pêche, dégarnis de leurs voiles, se pressaient, inclinés sur la quille, et, derrière la jetée maritime, s’exhalait la fumée noire d’un navire qu’on ne voyait pas.

C’était l’heure de la nuit approchante. Le brouillard, la neige, le vent glacé la rendaient plus mélancolique. L’idée de la séparation s’ajoutait à la tristesse du paysage ; et le bruit de la mer donnait à songer à la douceur des chambres closes, du feu qui brûle, de la