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QUATRIÈME PARTIE

par petits groupes, en attendant l’heure du départ. Assis l’un près de l’autre, Lucienne et Philippe se rappelaient le temps des désirs et des espérances, les rêves et les ambitions qui les avaient tourmentés.

En ce temps-là, ils pensaient surtout au bonheur, à se réaliser le plus complètement possible, à vivre leurs idées, à les continuer par l’action.

À cette heure, dans ce préau de misère, où la souffrance d’autrui les avait détournés d’eux-mêmes, ils ne songeaient plus au bonheur, ni à leur inquiète personnalité, toujours en désaccord avec les circonstances.

Un accablement succédait à l’agitation des jours passés, et ils se retrouvaient si différents de ce qu’ils étaient naguère, qu’ils s’étonnaient à parler de leur idylle à Gerseau, comme de souvenirs d’un autre monde. Cela semblait si loin déjà ! Et que la mélancolie, dont ils souffraient alors, leur apparaissait maintenant puérile.

Pris dans le tourbillon d’événements où le destin de l’Europe se trouvait emporté, ils ne se croyaient plus au centre de l’univers ; la grandeur du cataclysme leur donnait un sentiment nouveau : celui de la perspective, qui leur avait toujours manqué. Et, perdus dans une cohue mouvante, ils se sentaient si minuscules que leurs désirs, leur volonté, leur vie même n’avait pas plus d’importance qu’une ondulation dans le courant d’un fleuve.

Souriant au souvenir de leurs discussions sur la force du caractère et le pouvoir des circonstances, ils évo-