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l’exode

On trouva mille raisons pour excuser la frayeur qu’on avait eue, la brusquerie du départ où l’on ne pensait qu’à fuir la mort.

— C’est cela, dit Philippe, qu’on ne pardonnera point aux Allemands : d’avoir fait la guerre aux civils, de s’être conduits avec une si lâche cruauté. Il est certain que nous n’aurions jamais fui devant des Français ou des Anglais. Fussent-ils nos ennemis, nous sentirions en eux des hommes. Quant aux Allemands… Non !… Leurs atrocités surpassent en horreur tout ce que nous avons redouté !

La haine qu’on en gardait alors était si véhémente, que ces dames inventaient, pour punir le Kaiser, des tortures inédites, une mort effroyable, mais qui semblait trop douce, car l’immensité de son crime demeurait au delà de toute expiation.

Tandis que la pluie tambourinait sur les carreaux, on se plaignit du froid, du vent, du brouillard ; on rappela les jours heureux, le beau soleil de Lugano ; puis on en revint à la guerre, dont il était impossible d’écarter l’obsession.

En ce temps-là, on critiquait l’Angleterre, sa lenteur « qui dépassait toutes les bornes de la décence » ; on blâmait les journaux de leur optimisme et de leur aveuglement. Quant à l’héroïque petite armée, « que la nation exaltait sans beaucoup la soutenir », on l’estimait dérisoire.

— Cent soixante mille hommes ! s’écria Philippe, dans un empire de quatre cents millions d’habitants !