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L’EXODE

loupe fuyait sous le vent comme un oiseau qui vole au sommet des vagues. Avec un clapotement rapide et monotone, elles glissaient au long de la carène, et, pendant des heures, couchés à fond de cale, les fugitifs, transis entre des paquets de cordage, grelottaient aux clameurs affolantes de l’ouragan qui sifflait, gémissait, hurlait, se taisait tout à coup, puis faisait claquer la voile.

Des coups de bélier soulevaient la proue ; la chaloupe se renversant, une montagne liquide se coulait sous elle ; on glissait à l’abîme, qu’une autre montagne comblait brusquement, et roulé, d’une part, éclaboussé d’une autre, on franchissait dans une continuelle épouvante l’interminable succession des grosses lames.

On était à bout de force, en vue de Dunkerque, où le marinier essaya de se sauver du naufrage, lorsque soudain le crépitement d’une fusillade résonna sur la coque du bateau. Des balles sifflèrent, on aperçut comme une pluie sur les vagues, et, en un moment, la voile se troua comme un rideau gonflé où se seraient enfoncés d’invisibles doigts.

— Gare ! Tonnerre de Dieu !

Baissant la tête, le pêcheur fit tourner la barque ; la vergue, d’un bond, sauta vers l’autre bord, et la chaloupe s’enfuit au large, avant que les passagers anéantis eussent pris conscience du péril.

Quand on fut hors de danger, on aperçut, minuscules dans la distance, des points rouges et bleus sur le