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TROISIÈME PARTIE

Et, faisant un signe de croix, il ajouta :

— C’est vous qui l’aurez voulu !

La mer, déroulant ses vagues, bouillonnait jusqu’au seuil des cabines. Au delà des grosses lames, le bateau piquait de la tête et ruait contre ses amarres.

On mit à l’eau une lourde barque, où le pêcheur et ses deux fils portèrent les femmes, tandis que M. Forestier gardait les valises, attendant sur la plage qu’on vînt le prendre au second tour.

La barque, rejetée par les flots, ne pouvait se maintenir au flanc de la chaloupe en folie, où deux pêcheurs hissèrent les femmes au bout d’un cordage, tandis que M. Forestier, les mains devant les yeux, s’asseyait sur ses valises, presque défaillant de terreur. Un des hommes seulement revint à la côte, épuisé, soufflant, les bras rompus. Sans doute, avait-il trop présumé de ses forces, car il tira son embarcation sur le sable au moment où M. Forestier s’avançait, une valise à chaque main.

— Inutile… Je ne pars pas.

— Vous dites ?

L’autre brutalement répliqua :

— Je n’ai pas envie de me noyer pour vous !

M. Forestier pensa lui sauter à la gorge. Mais à quoi bon ? L’homme semblait rendu de fatigue, et lui-même ne se sentait plus l’énergie de lutter contre le mauvais sort.

Laissant tomber ses valises, il s’assit au bord du canot, immobilisé par la tristesse et la stupeur.