Page:Torcy (Blieck) - L'exode, 1919.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
PREMIÈRE PARTIE

Toutefois, il ne renonça point l’idéal de sa jeunesse. À l’inverse de son amour, qui se calmait dans le bonheur, cet idéal s’avivait comme une flamme au souffle froid de la contrariété. Philippe n’en fut pas moins réduit à mener de front les affaires et la littérature, ce qui l’empêchait à la fois de parvenir à la réputation et d’atteindre à la fortune.

Un beau jour, il s’aperçut qu’il avait quarante ans, un peu d’aisance, quelque loisir. Après tant d’années perdues, il pouvait se consacrer davantage à son art, mais l’enthousiasme l’avait abandonné. Sa vie régulière et banale lui apportait, d’ailleurs, peu de motifs d’inspiration, et il en souffrait, n’ayant accompli que des œuvres moyennes, images fidèles et grises du milieu où il avait vécu.

L’insuccès de son dernier livre l’avait péniblement surpris. Il en comprenait à présent la raison.

Passionnément épris de nuances morales, il avait étudié l’état d’âme d’un être faible devant la vie, placé par les circonstances à la bifurcation de deux routes : celle de l’individualisme et celle du devoir social.

Mais son héros, « velléitaire », incapable de révolte ou de résignation, ne peut se décider à choisir. Assez ardent pour convoiter une existence libre, créatrice, héroïque, il n’a pas l’égoïste courage de marcher vers son but, sans égards aux liens qui le retiennent à sa femme, à ses enfants, aux convenances de la société. D’une part, tourmenté de désirs, il envie la détermination des forts qui ne voient au monde que leur but per-