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TROISIÈME PARTIE

Mme Claveaux n’attendit point qu’on parvînt à le persuader. Un train de la Croix-Rouge était seul disponible. Encore était-ce par une faveur spéciale qu’on y réservait place à la famille du médecin.

Mme Claveaux sortit par une fenêtre, la porte étant bloquée de débris. Ses filles, Nanette et les bonnes se hâtèrent après elle, tandis que Philippe et Sylvain achevaient de calmer le furieux Barnabé.

Avec un dernier serment, on put enfin le pousser sur les gravats qui montaient à hauteur des châssis.

Bien qu’il ne restât plus une minute à perdre, on prit le chemin le plus long, en se glissant dans les rues étroites et en évitant le voisinage des halles, dont la tour servait de point de mire aux canons.

Tout en sueur, on parvint à la gare. Des convois de blessés y arrivaient incessamment. Aussi le train n’était-il point parti, au désappointement de Barnabé qui, le plus lentement possible, avait tiré ses pas.

Sur la place, encombrée de charrettes et de voitures de la Croix-Rouge, des officiers français, des infirmiers militaires se hâtaient d’évacuer les malades, les éclopés, les moribonds, au fracas d’une canonnade qui faisait trembler le sol depuis le matin.

Sur le quai, les civières allongeaient une interminable file de corps mutilés. Quelques blessés s’accoudaient, fumant une cigarette qu’un infirmier leur offrait au passage. La plupart demeuraient étendus, les yeux creux et cernés, la face terreuse ; d’autres se cachaient la figure sous un bras replié, et on hissait toute cette