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L’EXODE

Il en conçut un tel chagrin que sa santé s’altéra. De plus, il perdit sa clientèle pour avoir dénoncé un scandale de travaux publics où des libéraux se trouvèrent compromis. Il mourut dégoûté de la politique et des hommes, laissant à sa femme les débris d’une modeste fortune.

Philippe avait alors dix-neuf ans et se destinait à la composition musicale. Il fallut le rappeler d’Allemagne, arrêter ses études et songer à l’avenir.

C’était à l’époque de Léopold II et de l’essor commercial de la Belgique. Les artistes — généralement méprisés — parlaient de leur pays comme d’un « pourrissoir intellectuel », où l’art se mourait par l’indifférence d’une bourgeoisie sans culture et le matérialisme d’une aristocratie tournée vers les spéculations d’argent.

Philippe n’ignorait pas que la misère l’attendait sur la voie qu’il s’était choisie. Il s’y fût obstiné, si la pression d’un conseil de famille ne l’eût contraint de sacrifier ses ambitions à sa mère et à sa sœur, qui comptaient sur lui pour soutenir le ménage. De rapides études à l’université de Bruxelles lui assurèrent un gagne-pain, et, quittant la musique pour la chimie, il commit ainsi la plus grave erreur de son existence, celle qui devait bouleverser tout son destin.

Plus de vingt ans après, il la déplorait encore ; une blessure saignait en lui, qui jamais ne se ferma. Il souffrit de ses ambitions arrachées ; des mélodies chantaient dans sa mémoire le regret de la vocation perdue,